Enseignements de Tenzin Palmo sur des textes tibétains de spiritualité dans le quotidien
Préface de Jacques VIGNE
Je suis heureux de présenter ce nouveau livre d’enseignement de Tenzin Palmo. Elle représente beaucoup, en particulier pour les occidentaux qui s’ouvrent au bouddhisme. J’ai réalisé cela par exemple très clairement lors du séminaire de Tushita en mars 2016. Tushita est un centre dans la forêt au-dessus de Dharamshala, l’endroit de l’Himalaya où habite le dalaï-lama.
Il est dirigé par Lama Zopa, le successeur de Lama Yeshe, le fondateur d’un des plus grands mouvements pour faire connaître le bouddhisme tibétain au niveau international[i]. Pour ce séminaire donc, qui est inclus dans le présent ouvrage, il y avait entre 300 et 400 personnes, principalement des occidentaux, dont une quinzaine ou vingtaine de moines et moniales, et beaucoup de jeunes. Tenzin Palmo parlait très simplement, et donnait le sentiment concret que ce qu’elle a fait, nous pouvons le faire aussi à notre manière : de manière générale, elle ne va pas dans l’ésotérisme compliqué mais donne régulièrement des explications qui sont à la fois profondes et terre-à-terre. On sentait que le message passait, et qu’il avait une grande attention dans l’assistance du début à la fin du séminaire. Tenzin Palmo est à ma connaissance la plus ancienne des moniales occidentales de tradition tibétaines, ayant prononcé ses vœux il y a plus d’un demi-siècle. Elle est connue pour son travail de promotion de la situation de la femme dans le bouddhisme tibétain, en particulier au niveau des moniales, mais il ne faut pas réduire son enseignement cet aspect-là. Il est beaucoup plus large.
Le présent ouvrage est le troisième de Tenzin Palmo en français. Le premier s’intitule Un ermitage dans la neige, il raconte l’histoire de Tenzin Palmo, y compris ses 11 ans et demi dans une grotte, sous forme d’entretiens avec une journaliste, Vicky McKenzie.[ii] Le second est la traduction du principal enseignement de Tenzin Palmo en anglais, et se nomme en français Pratique de la méditation au quotidien[iii]. Le présent ouvrage n’est pas la traduction directe d’un livre en anglais, mais le rassemblement de différents textes : déjà une présentation générale de Tenzin Palmo que j’ai effectuée et qui a été publiée en grande partie dans le premier numéro de la nouvelle série de Questions de, consacré à la méditation. Suivent des enseignements de Tenzin Palmo, dont deux séminaires que j’ai pu moi-même prendre en note en mars 2016, à Tushita dont nous avons parlé, et à Bir, un centre d’études interreligieuses un peu plus loin dans l’Himachal-Pradesh. En plus de l’anglais, ces deux séminaires ont été traduits en espagnol et italien, et publiés sur papier dans cette dernière langue à Milan avec d’autres enseignements de Tenzin Palmo.[iv] Nous rajoutons dans ce livre le troisième séminaire de Tenzin Palmo commentant un autre texte classique, Les 37 pratiques d’un bodhisattva, les trois séminaires ayant comme fil directeur ce qu’on appelle le lojong, c’est-à-dire l’entraînement de l’esprit pour la vie quotidienne. Chaque séminaire est fondé sur un texte classique différent, l’un de Chekawa, l’autre d’Atisha et le troisième de Thomé Sangpo. L’idée centrale de ces trois textes est la même et on la retrouve aussi dans d’autres traditions spirituelles : faire de chaque obstacle une occasion de progrès spirituel. Cela amène à réduire la dualité entre vie intérieure et extérieure et à s’approcher de ce qui est le sommet de la voie Mahâyâna, c’est-à-dire l’union du samsâra et du nirvâna.
Nous avons mis trois entretiens de Tenzin Palmo avec des groupes de passages pour les deux premiers, et avec moi-même pour le troisième. J’étais présent aux entretiens avec les groupes, et il est beau de voir comment Tenzin Palmo sait s’adapter avec une grande attention et présence aux questions des débutants et planter en eux ou elles des graines de libération. Peut-être que pour certains dans ces groupes, elle sera la seule grande méditante qu’ils rencontreront dans leur vie, et pour d’autres, ce sera le début de toute une évolution qui les amènera à en rencontrer d’autres et à se mettre à leur école.
Tenzin Palmo décrit souvent l’enseignement du Bouddha comme du « bon sens illuminé ». Ses explications elles-mêmes vont dans ce sens-là, elle ne donne pas dans l’ésotérisme et insiste, comme une enseignante qui connaît son métier, sur les points importants, en particulier ceux qui peuvent être mal compris du public occidental dont elle a une grande habitude. À propos des enseignements non-duels, dzogchen et mahamudra, elle fait montre d’une certaine prudence, sachant bien que l’apparente facilité de ces enseignements – « il n’y a rien à faire » – peut tenter des occidentaux qui ne veulent pas s’engager dans une réelle pratique. Elle a rencontré à peu près tous les grands maîtres tibétains dès le début de leur exil à partir de 1961, et elle peut témoigner que jamais aucun d’eux n’a faisait allusion au fait qu’il était réalisé, alors que beaucoup avait passé 20 ou 30 ans en solitude en plus d’avoir reçu un enseignement traditionnel de haut niveau. Cela constitue une belle leçon d’humilité pour un milieu occidental où chacun y va de son expérience d’éveil… Notre moniale est aussi fière d’appartenir à une lignée, Drugpa Kagyu en l’occurrence, où on maintient la tradition « chaude » comme ils disent, c’est-à-dire où il y a de grands pratiquants qui se retirent pour des dizaines d’années de méditation intense, comme c’est le cas du monastère de Tashi Jong, en Himachal Pradesh près du couvent de DGL. Il a été fondé par le huitième Khamtrul, le maître même de Tenzin Palmo. Parmi la centaine de moniales qui sont en formation dans son monastère de Dongyu Gatsal Ling[v] en Himachal Pradesh près de Dharamshala, il y en a six qui sont déjà effectué plus de la moitié d’une retraite de 12 ans, et qui sont formées par les togden-s, les yoguis de Tashi Jong.
Une pointe de curiosité spirituelle m’a amené à aller pratiquer dans la grotte de Tenzin Palmo au Lahaul, seulement pendant huit jours, pour me rendre compte directement de l’environnement dans lequel elle a choisi de vivre pendant si longtemps. Cela a été une expérience intense. J’ai l’habitude de mon ermitage dans l’Himalaya près de la frontière du Tibet où je suis souvent depuis 20 ans, mais il n’est qu’à 1900 m d’altitude alors que la grotte de Tenzin Palmo est à 4300 m. Même en juin, le climat était pour le moins frisquet, et quand il pleuvait, c’est en fait de la neige qui tombait sauf qu’elle ne tenait pas au sol contrairement aux six mois de l’hiver. Le sentier le plus habituel pour aller à la grotte n’était pas facile, car il passait sur quelques centaines de mètres dans des coulées d’éboulis à pic avec les pierres qui vous roulaient sous les pieds. Si on glissait, on était fini. Cependant, on était récompensé à l’arrivée, non seulement par la vue, mais aussi par la qualité du silence. Quand on médite dans la grotte, c’est n’est pas rien de se sentir protégé par la masse de l’Himalaya lui-même, cette montagne qui a abrité tant de grands yoguis, qu’ils aient été hindous ou tibétains.
A propos du Vajrayana et du Tantra, Tenzin Palmo souligne bien qu’il ne s’agit pas d’une voie pour tout le monde. Il faut avoir à la fois l’intérêt et la capacité pour la suivre. Au Moyen Âge, il s’agissait d’une voie très ésotérique transmise en secret de maître à disciple dans les plaines de l’Inde. Remarquons aussi que plus souvent qu’il n’y paraît, les maîtres étaient des femmes. Puis, d’une façon un peu étrange, ce tantrisme est devenue la religion d’État au Tibet. Cela a posé certains problèmes, y compris encore maintenant à propos de sa dissémination en Occident. D’où l’importance de ce livre, qui évoque une présentation équilibrée et bien assimilée de la voie du vajrayana, même s’il ne rentre pas dans les détails.
À propos du passage du bouddhisme en Occident, Tenzin Palmo est on peut dire partagée : d’un côté, elle est tout à fait contente que des techniques de méditation bouddhiste soient pratiquées par le grand public, y compris par des chrétiens, sachant qu’au fond ces pratiques sont faites pour aider les gens, et ce quelles que soient leurs croyances. D’un autre côté, elle a été pour le moins étonnée de voir par exemple que dans une grande réunion d’enseignements bouddhistes occidentaux, environ la moitié d’entre eux ne croyaient pas à la réincarnation et au karma. On peut certes avoir les idées qu’on veut sur la vie, mais si on se définit comme enseignant bouddhiste, il faut être cohérent avec les bases mêmes de cette voie.
Notre moniale enseignante est attentive à ne pas se décrire comme « abbesse » du couvent de DGL qu’elle a fondé avec sa centaine de moniales en formation. Elle les encourage à beaucoup d’autonomie. Néanmoins, elle représente certainement une grande inspiration pour toutes ces jeunes Tibétaines qui ont avec elle une occasion de sortir des limitations sévères de la vie de femme de village en Himalaya pour développer une véritable culture et pratique de leur tradition bouddhiste. En leur apprenant l’anglais en plus du tibétain classique et moderne, Tenzin Palmo prépare certaines à un possible avenir d’enseignantes internationales, et pourquoi pas ? En ce sens, c’est tout à l’honneur du monastère que dans le premier groupe d’une vingtaine de moniales nommées guéshées par le dalaï-lama en fin 2016 – une révolution dans la tradition tibétaine – l’une d’entre elle appartenait à la communauté de DGL.
Souhaitons que cet ouvrage contribue à consolider les nombreux ponts qui existent déjà entre le bouddhisme traditionnel et l’Occident, et qu’il puisse aider les chercheurs spirituels dans une pratique méditative de mieux en mieux intégrée à leur vie quotidienne.
[i] FPMB : Foundation for the Protection of Mahayana Buddhism
[ii] Vicky McKenzie Un ermitage dans la neige Nil Editions
[iii] Tenzin Palmo Pratique de la méditation au quotidien Le Courrier du livre
[iv] Tenzin Palmo Spiritualità al femminile MC Editrice, Milan, 2016
[v] www.dglnunnery.org