Préface pour le livre « Exercices de méditation laïque »
par Jacques Vigne
C’est un honneur pour moi d’avoir reçu la demande par Louis Genet de préfacer le livre Exercices de méditation laïque, et ceci est à double titre : d’une part, je peux ainsi présenter son œuvre au public, et d’autre part, il a effectué ce gros travail de transcrire nombre de mes méditations données dans des séminaires auxquels il a assisté depuis 10 ans, en France, Belgique, Maroc, au Bhutan même, en se servant aussi pour l’exactitude des enregistrements audios.
J’ai donc pu relire tout son texte, ajouter quelques précisions et développements, et je me réjouis que ce document soit maintenant disponible pour le public. En effet, de nos jours, se développent rapidement les méditations guidées sur le net. Moi-même, j’ai commencé récemment à en mettre un bon nombre en ligne[i]. Cependant, l’écrit a l’avantage sur l’oral d’être plus synthétique, et de permettre d’aller et venir plus rapidement d’une technique à l’autre. Dans ce sens, non seulement ce livre, mais aussi le précédent dans le même style : Manuel de méditation laïque[ii] sont précieux.
On ne doit pas prendre des méditations guidées comme parole d’évangile : ce sont des suggestions pour aider le lecteur à devenir créatif dans sa propre pratique. À partir des conseils de départ, il peut se servir des méthodes comme d’une boîte à outils, et faire son propre meuble selon l’idée qui lui vient à l’esprit et la nature du matériau de base auquel il a affaire. Il faut plutôt voir cette panoplie de techniques brèves ou plus longues comme les éléments d’un jeu de Lego qui permet à l’enfant de construire son propre édifice. De plus, un des avantages des méditations transmises par écrit par rapport aux enregistrements qu’on écoute est le facteur temps : chacun a son rythme, et il est naturel de dilater certaines phases et de passer plus rapidement sur d’autres selon ce qu’on sent. Tout cela est plus facile lorsque l’on part d’une méditation écrite.
Quel est le rapport entre eux la méditation laïque moderne et les méditations traditionnelles ? Bien sûr, il y en a un, la laïcité ouverte n’a pas à repousser le passé, mais au contraire à l’inclure. L’idée de la méditation laïque, comme de la psychologie transpersonnelle en son genre, est de reprendre des pratiques suffisamment simples et claires pour qu’elles aient une portée universelle, surtout quand elles n’exigent pas de croyances métaphysiques préalables. Certaines pratiques traditionnelles sont très fortes, je pense par exemple à la méditation tibétaine de prendre et donner, tonglen, ou de la purification du corps et l’esprit, vajrasatva, ou encore la méditation vipassana toute simple de balayage du corps en acceptant les sensations telles qu’elles sont : justement parce qu’elles sont simples et fortes, on a naturellement le désir de les faire partager au plus grand nombre, même si cela revient à replanter une bouture dans une terre qui n’est pas celle d’origine. Dans cette transition, la présentation d’une méditation donnée deviendra sans doute plus technique et dépouillée, avec moins de références traditionnelles, mais il s’agira malgré tout d’un travail utile dans le contexte de la modernité. C’est à cette tâche que s’est attelé Louis Genet, avec patience et clarté.
Venons-en maintenant à deux définitions anciennes et simples de la méditation, qui peuvent être considérées aussi comme deux piliers d’une pratique d’intériorisation laïque : d’une part, « tourner le regard vers le dedans », c’est un travail qui était déjà recommandé dans les Upanishads il y a 25 siècles, et qui est peut-être encore plus d’actualité aujourd’hui. En effet, la civilisation de l’image et de l’excès d’information a cette capacité de nos jours tuer la vie intérieure par une sorte d’hémorragie de l’attention vers les objets du dehors. Le travail de retour à soi est donc non seulement important, mais même urgent.
Une définition de la méditation est aussi très ancienne, elle vient de la tradition du bouddhiste : « comprendre son esprit, le modeler, et le libérer ». Dans sa simplicité, elle est assez universelle et peut facilement s’adapter à la démarche psychologique moderne, elle aussi fondée sur la compréhension de l’esprit.
Depuis plus de 30 ans que j’enseigne la méditation à travers différents séminaires et dans des milieux très différents, depuis l’école primaire, les patients psychiatriques ou la prison, les groupes de yoga, lors de voyages que je guide en Inde, au Tibet ou alentour, régulièrement au Liban, une fois en Chine ou parfois dans le milieu chrétien, on me pose souvent deux questions de base : quel temps consacrer à la pratique, et quels types de méthodes suivre parmi toutes celles disponibles ? Pour le temps, il peut être relativement bref, mais est important qu’il revienne régulièrement chaque jour. Cela a une efficacité pratique autant que symbolique. De même que la goutte d’eau qui tombe continûment peut percer une pierre, de même la pratique quotidienne finira par transpercer la dureté de notre ego. Certes, le bon sens est important : si la pratique est trop brève, on n’aura pas le temps de rentrer dans un état de conscience différent, c’est comme si on arrêtait chaque repas avant l’arrivée du plat principal, ce qui serait frustrant. Dans ce sens, un quart d’heure ou 20 minutes par session peut être un bon départ. À l’inverse, si on a du temps dans la journée pour pratiquer plus, il est meilleur au début de répéter des séances pas trop longues plutôt que d’essayer de tout faire en une fois. En effet, nous avons une homéostasie cérébrale qui équilibre le côté actif du sympathique et relaxant du parasympathique. Si on force la relaxation en restant très longtemps assis, il y aura la revanche du sympathique qui créera de l’agitation physique et mentale, et représentera un obstacle inutile pour la méditation. En plus, le corps et le mental de base gardent le souvenir du forçage des sessions précédentes, et cela induit un dégoût de revenir s’asseoir sur le coussin. Ainsi, comme dans l’éducation d’un enfant, il faut savoir trouver le juste milieu entre la fermeté et la tendresse pour assurer le progrès.
La méditation laïque est d’autant plus important dans le contexte actuel qu’elle peut représenter un contrepoids simple et sain aux méditations purement fondées sur la dévotion, comme le proposent beaucoup d’enseignants indépendants ou de mouvements religieux petits ou grands, récents ou anciens. En effet, la dévotion en tant que telle est insuffisante pour libérer l’individu, elle doit être équilibrée par la connaissance : non pas seulement la connaissance intellectuelle des voies de méditation, mais aussi la connaissance intuitive et spirituelle du fonctionnement de l’esprit. Ultimement, c’est la compréhension qui libère. Si on se plonge dans une pratique purement dévotionnnelle-émotionnelle, on risque de tomber dans la bigoterie et surtout d’être facilement manipulé par ceux ou celles qui se présentent comme objet de dévotion, pour peu qu’ils soient eux-mêmes ou elles-mêmes plus ou moins pervers. L’humanité progresse jusqu’à un certain point, et elle est capable de dépasser avec intelligence nombre de schémas religieux anciens, voir primitifs. Dans ce sens, le développement la méditation laïque est un signe clair de ce progrès, à condition qu’elle soit faite avec sérieux et intensité, ce qui est de toute façon aussi attendu des pratiques religieuses traditionnelles.
Dans les méditations de pure dévotion, les gens dérapent trop souvent dans du sentimentalisme bas de gamme auréolée d’un halo de pensée magique et de toute-puissance facile, qui favorise les projections. Cela ne les mène guère à comprendre leur esprit et au bout d’années de pratique, ils se retrouvent souvent bernés, exploités et encore plus confus qu’au début ; tout cela sans compter dans certains groupes religieux le risque d’être poussé à la guerre sainte dans une ambiance qu’on pourrait qualifier d’infantilisme meurtrier. Ceci est une vision réaliste des choses, la vigilance est donc de mise. On pourrait prendre comme fil directeur pour s’orienter la règle suivante : plus les assertions d’un enseignant, d’une enseignante, d’un groupe ou d’une forme religieuse sont grandioses, parlant de sauver le monde – comprenez en sous-entendu de le dominer – plus il faut se méfier. Comme le dit la sagesse ancienne : « Le bien fait peu de bruit, le bruit fait peu de bien ».
Quand on parle de l’enseignement de la méditation dans la société actuelle, il faut faire face à la question de son prix. Grâce à l’Internet, on a maintenant beaucoup de méditations guidées disponibles gratuitement. Les méditations de groupe classiques qui incluent la location d’une salle et la présence d’un enseignant auront tendance à être payantes, mais il est important que le prix reste modéré. Une manière aussi de respecter l’esprit général de gratuité qu’on doit avoir dans l’enseignement spirituel peut-être qu’une partie, voir la majeure partie des bénéfices des sessions de méditation soient reversés à des œuvres charitables. L’altruisme est une partie inaliénable de l’enseignement de la méditation, à la fois sous forme de pratiques d’intériorisation et de mise en œuvre extérieure.
Dans le contexte occidental actuel, beaucoup de gens entendent parler de la méditation d’abord par le mouvement de Pleine conscience de Jon Kabat-Zinn. Certes, la méditation d’observation qui fonde cette voie est une partie fondamentale du chemin intérieur, elle a de plus un effet équilibrant sur la culture occidentale qui a travers la dévotion chrétienne était surtout centrée sur des méditations de concentration : prier pour obtenir des choses du divin, ou alors simplement pour le louer. L’observation du mental part d’une autre base, et cherche à comprendre les mécanismes de l’esprit tels qu’ils sont. Cependant, même dans l’enseignement du Bouddha, l’observation de l’esprit, vipassana, a toujours été équilibré par shamathâ, c’est-à-dire la focalisation et l’absorption dans des sentiments positifs, que ce soit par rapport à soi-même ou par rapport aux autres sous forme de vœux altruistes. Cet équilibre doit être respecté, sinon on risque de pratiquer la méditation comme quelqu’un qui marche à cloche-pied, c’est-à-dire de se fatiguer assez vite…
De plus, l’attention pure n’est pas suffisante : on peut cambrioler une banque avec une attention pure, mais cela ne mènera pas au progrès spirituel. Le contexte éthique et d’évolution à long terme de la méditation est essentiel. Dans ce sens, on peut se référer au mot pali qui été traduit comme mindfulness en anglais par Thich Nhat Hanh, et repris ensuite sous ce terme par le mouvement de Kabat-Zinn. Il s’agit de sati, qui a comme racine le mot sanskrit smriti signifiant « mémoire ». Donc, a priori sati, cette attention du méditant consiste d’abord en la remémoration des enseignements reçus pour les appliquer aux variations du mental instant après instant. Dans ce sens, il ne s’agit pas d’attention pure et simple, en quelque sorte ex nihilo, mais de mise en pratique d’un enseignement qu’il faut donc, par définition, avoir déjà étudié suffisamment.
Que tous ces conseils et avis de prudence ne fassent pas peur aux débutants et ne les empêchent pas de plonger dans le travail méditatif. Comme dans le cas d’une piscine bien organisée, si un maître-nageur aperçoit un enfant qui se lance à l’eau sans savoir bien nager, immédiatement, il ira l’aider. De même, dans la voie de la méditation, quand on plonge dans les exercices, on reçoit beaucoup d’aides soit par des personnes concrètes, soit par des livres, soi-même directement au niveau subtil. Que ceux et celles qui se lancent dans la pratique n’hésitent donc pas à goûter librement la joie de prendre en conscience, de transformer et finalement de libérer leur esprit.
[i] Voir www.jacques vigne.com pour les liens.
[ii] Genet Louis Manuel de méditation laïque, Dervy, Paris, 2017.