octobre 25, 2018 admin

Témoignage d’un homme d’affaire français depuis longtemps en Chine

Monsieur N. est un grand businessman français en Chine. Il a une femme chinoise, qui a une grande galerie d’art à Pékin. Il va bientôt atteindre les 60 ans et n’est pas optimiste sur la situation sociale et politique de la Chine. C’est un ami de Matthieu Ricard, qu’il aide pour son association caritative Karuna, en particulier pour la branche Karuna-Asia qu’il soutient financièrement de façon notable. Il a vécu aussi à Hong-Kong. Il a de plus lancé une ONG basée en Chine, avec une jeune femme française qui parle le tibétain et le chinois, pour nettoyer l’Everest des détritus laissés par les expéditions d’alpinisme. Ses équipes rapportent à dos de yak quatre tonnes de déchets par an, qui sont ensuite recyclés. Le gouvernement chinois a tellement été impressionné par leur action, qu’il veut la prendre en charge, mais Mr N. n’est pas très enthousiaste à cette perspective, car il sent qu’ils vont être inefficaces et que le travail ne sera pas fait correctement.

Il essaie donc de les amener plutôt à une collaboration avec l’ONG existante. N. suit le bouddhisme tibétain, a pour maître racine Lama Zopa, qui est dans la lignée Gelugpa. Voici ce qu’il dit sur son expérience en Chine où il vit depuis longtemps. Nous avons gardé son style direct et pragmatique en reprenant les points qu’il a mentionnés lors de notre entrevue, les quelques phrases entre parenthèse sont mes commentaires.

« En fait, j’étais plus attiré par l’Inde, j’ai de très bons amis indiens et j’y suis souvent. Je trouve qu’il y a une ouverture du cœur, un sentiment général d’altruisme et de compassion qu’on ne trouve guère en Chine. Cependant, le destin m’a amené vers Hong-Kong et Pékin, et je suis donc maintenant en Chine depuis longtemps.

La situation politique

La société chinoise est oppressée et oppressante. Le gouvernement sait tout sur les citoyens, en particulier sur ceux qui ont un minimum de liberté de pensée et qu’il considère comme des ennemis potentiels. Par exemple, j’ai deux voitures avec des plaques différentes pour échapper à la règle de n’utiliser sa voiture qu’un jour sur deux pour limiter la pollution. En faisant mon numéro de plaque d’immatriculation sur leur ordinateur, la police peut savoir exactement où je suis allé chaque jour depuis deux ans, car tous les carrefours sont filmés et ils ont de quoi analyser automatiquement ces données de masse.

Les Chinois sont pleins de bonne volonté, mais le caritatif en Chine est contrôlé par le gouvernement, on n’a pas le droit aux initiatives individuelles. Etre dans le caritatif devient alors un moyen de grimper dans les échelons du système gouvernemental (et n’ouvre donc pas spécialement le cœur).

Si on met ce que savait la Gestapo, la Gépéou, le KGB sur les citoyens du pays à leur époque, la police chinoise en sait dix fois plus. Derrière une liberté apparente de business, il n’y a aucun recours possible contre l’administration et les diktats du gouvernement. Quelqu’un peut être milliardaire et disparaitre du jour au lendemain, kidnappé par la police, même à Hong-Kong ou au Vietnam et disparaître dans une prison chinoise inconnue de l’intérieur du pays. Les amis ne peuvent rien dire. Pour Hong-Kong, on ne peut guère parler actuellement de « un pays, deux systèmes », comme le prétend hypocritement le gouvernement.

Psychologie de la société chinoise

La Chine continentale actuelle est un désert du point de vue de la liberté démocratique, de la culture, et aussi, ce qui est très triste, du point de vue de la vie affective. Ici, la vie du Chinois lambda, c’est ‘métro boulot dodo’ à la puissance dix. Peu d’entre eux réalisent que l’argent ne fait pas le bonheur (quand ils s’en aperçoivent, ils risquent bien d’être déprimés pour un bout de temps). Ils restent ensemble en famille surtout par devoir, et de temps en temps, par amour.

La société chinoise est dure et sans compassion. En Inde, on sent la compassion, parfois un peu trop, mêlée à l’expérience du divin. Mais ici, non. Cependant, les Chinois qui s’engagent dans le caritatif sont contents d’avoir des Occidentaux dans leurs manifestations afin de collecter des fonds pour des charités. Quand je sens que les gens sont sincères, je m’y rends pour les encourager, comme nous le faisons aujourd’hui avec la vente aux enchères de tableaux d’artistes chinois actuels, au profit d’une association d’aide aux enfants des minorités du Yunan.

Mon lama racine m’a dit : c’est parce que la société chinoise n’a pas de compassion que tu es là-bas, pour en mettre !

En art, il y a un regain d’intérêt pour l’art traditionnel chinois.

La communauté étrangère en Chine n’est pas très consistante. Sans doute les gens vont et viennent trop vite.

Certains, comme notre ami commun, sont pratiquement nés ici, mais ne peuvent avoir, encore à 50 ans, de visa à long terme. C’est d’une précarité lourde à supporter.

Il y a eu un Américain très bien qui est venu faire du développement personnel. L’idée directrice était d’être vrai et de dire ce qu’on avait sur le cœur. Il a eu un gros succès, mais il a été interdit car c’est justement ce que le gouvernement ne veut pas.

La religion

J’étais moi-même catholique assez fervent, je voulais devenir moine bénédictin, j’ai fréquenté surtout St-Benoît-sur-Loire et La Pierre-Qui-Vire. Cependant, je me souviens d’un entretien avec un Père de Solesme, une autre grande abbaye bénédictine dans la Sarthe connue pour ses chants grégoriens, auquel j’ai posé des questions précises sur ce que voulait dire être catholique. Il m’a dit clairement qu’il fallait considérer que le Christ était la seule voie de salut. Même si je respecte le message de Jésus, je n’étais pas du tout dans cet exclusivisme, et donc j’ai réalisé que je n’étais pas catholique. Cela m’a fait un petit choc sur le coup. Quand j’ai découvert le bouddhisme en étant à Hong-Kong, je me suis retrouvé à la maison, avec en particulier l’aspect psychologique et raisonnable de leur approche. J’ai une sœur qui a fondé une famille traditionnelle catholique de 7 enfants, cependant les catholiques m’ont perdu comme fidèle à cause de leur rigidité dogmatique et de leur exclusivisme.

La renaissance religieuse en Chine est tolérée par le gouvernement, mais on ne peut pas dire encouragée.

Les Chinois oscillent entre un matérialisme effrayant et des superstitions d’une naïveté affligeante (elles sont, en quelque sorte, un retour du refoulé, comme on dit en psychologie). Ma femme par exemple me fait boire des tas de potions recommandées par sa tante ou sa grand-mère, qu’elles font parfois venir pour très cher des Etats-Unis, alors qu’elles n’ont guère d’efficacité prouvée. Ils ont bien besoin, comme vous le dites, d’un enseignement de spiritualité saine.

La société chinoise a besoin d’enseignements de méditation sains et simples. Cela reste difficile d’être ouvertement religieux, mais des méditations plus laïques pour lutter contre le stress et apprendre des bases d’intériorisation peuvent avoir un succès considérable ici, car les gens en ont besoin, ils sont en fait dans un désert. Ils disent qu’ils ne « croient en rien », en répétant l’endoctrinement marxiste, mais ils ont en fait des tas de croyances familiales et populaires qui sont – pour ceux qui n’y souscrivent pas – des superstitions. Quand ils disent donc ne croiront rien, ça veut dire ne pas souscrire aux idéologies qui sous-tendent les religions prosélytes comme le christianisme, l’islam jusqu’à un certain point le bouddhisme. Quant à l’hindouisme, ils n’ont guère d’idées de ce en quoi il consiste, ne voyant pratiquement jamais d’hindous chez eux

Les Eglises chrétiennes souterraines sont très puissantes, elles font aussi un peu de prosélytisme, en distribuant des tracts dans les parcs publics par exemple. On peut dire qu’elles sont tolérées, nous ne sommes plus à l’époque de la révolution culturelle.

La vente aux enchères où nous sommes allés le samedi après-midi avec Mr N. était lancée par une association pour aider les enfants des minorités dans une région pauvre du sud de la Chine. Chaque tableau était vendu en moyenne 700 €, et comme il y en avait plus de 80, l’après-midi aura rapporté entre 50 et 60.000 € pour les œuvres, les organisateurs n’auront pas perdu leur temps…

Je vois que souvent, dans les groupes religieux, la tendance sectaire est prononcée (sans doute est-ce lié à une sorte de paranoïa qui découle d’un demi-siècle de persécution, et aussi à un individualisme chinois qui est prononcé ; sans vouloir le condamner dans l’absolu, il s’agit d’un trait de leur culture actuelle). Ici, on a souvent des leaders religieux qui interdisent d’aller voir d’autres enseignants, alors qu’en Inde c’est plus rare. Certes, on conseille de ne pas se disperser, d’avoir un maître référent, mais cela n’empêche pas d’aller en voir d’autres.

Le gouvernement chinois nomme ‘responsables de communauté’ des Tibétains corrompus, comme cela, s’ils désobéissent tant soit peu, on peut facilement faire ressortir leur dossier de corruption, les mettre en prison et les éliminer avec la meilleure conscience du monde. C’est ni plus ni moins du chantage. Le régime ici est staliniste.

J’ai rencontré un gourou tibétain ici en Chine qui nous a dit clairement qu’il était vendu au régime, qu’il devait faire ce qu’il lui disait. Cependant, il essayait d’être « vendu honnêtement », c’est-à-dire de protéger quand même les gens de sa communauté du pire. De toute façon, il a ajouté : « Si ce n’était pas moi à me trouver là à ce poste, ils en mettraient un autre et ce serait sans doute encore plus dommageable ».

En tout, la surface du Tibet traditionnel, rajoutée à celle du Sinkiang qui est musulman, représente un tiers de la Chine. Pourtant, les populations là-bas sont sauvagement réprimées, et la majorité n’en sait rien. Ce régime est effrayant, et on ne voit guère d’espoir d’en sortir.

Nous avons une sangha, mais nous sommes très discrets. Nous avons publié un livre de mon lama, mais sans mentionner le Dalaï-lama. Nous avons aussi publié le témoignage d’une femme qui s’est guérie d’un cancer du sein par la méditation. J’ai les Tibétains directement à travers le soutien que j’apporte à Mathieu Ricard et à son association Karunâ-Asia