novembre 7, 2018 admin

L’école de Surkhet

Les rencontres de Jacques Vigne avec l'équipe de soin et les enfants handicapés, et autres…
début octobre 2018

J’ai eu l’occasion de visiter l’école de Surkhet pendant quelques jours en début octobre 2018. Il y a une dizaine d’enfants en soins. Le centre dispose de trois chambres d’accueil pour les enfants qui viennent de loin et sont accompagnés, en général de leur mère. Nous avons une réunion de l’école où les membres du bureau sont venus, ainsi que l’adjointe au maire de la ville. Surkhet est devenue la capitale de la province centrale-ouest du Népal, une des sept régions du Népal. Dans ce sens, c’était certainement un encouragement pour l’équipe d’avoir la présence de cette dame à notre réunion d’école.

Normalement, la mairie devrait aider d’une façon ou d’une autre ce centre d’enfants handicapés et il y a effectivement un projet qui se dessine dans ce sens. J’ai senti que l’équipe soignante du centre formait une vraie famille, deux des trois employés sont là depuis le démarrage même du centre il y a 8 ans. Le troisième, le kinésithérapeute, est là à mi-temps depuis six mois et rend aussi de grands service au reste de la ville et de la vallée en offrant ses services spécialisés l’après-midi dans sa consultation privée. L’avoir fait venir offre donc un bénéfice indirect à toute la région autour de Surkhet. Son salaire est assuré par Humanitaire Himalaya. Il a été formé dans un grand hôpital orthopédique près de Kathmandou.  Un psychothérapeute est aussi consultant dans le centre, cependant pas à plein temps puisqu’il n’y en a pas besoin, et l’équipe vient d’arranger avec l’hôpital gouvernemental la possibilité de consultations gratuites avec un pédiatre pour les enfants du centre. Le centre a réussi à coopter dans son conseil d’administration le fils du Gouverneur de la province, Gouverneur avec lequel Ganesh se trouve être lié d’amitié. Ios se rencontrent et parlent souvent autour du thème de l’écologie et de la protection de la nature.  Cela n’assure pas pour autant des budgets publics, mais représente malgré tout une protection pour le centre. Nous reviendrons ci-dessous à ce Gouverneur que finalement nous avons rencontré.

La majorité des enfants d’handicapés de la région sont de milieux pauvres ou très pauvres, et pour leurs parents, venir en compagnie d’un enfant pour une journée de rééducation au centre représente une perte de salaire. Un des arguments donc de l’équipe est d’expliquer qu’au contraire, ils peuvent laisser les enfants au centre et travailler sans avoir à s’occuper d’eux, et ainsi pourront plus se consacrer à des activités rentables économiquement.

Le besoin principal est souvent, comme dans ce genre de centre qui se développe progressivement, un minibus de taille moyenne, une dizaine ou quinzaine de sièges suffirait, avec une adaptation aux handicapés, en pratique principalement des sangles pour qu’il ne tombent pas pendant le transport et l’accès facilité au niveau de la porte. Le prix d’un tel véhicule est environ 8 000 €. Pour l’instant, les enfants viennent d’un rayon de 6 km, avec ces véhicules ils pourraient venir d’un rayon de 15 kilomètres et il y a beaucoup de jeunes patients en attente de soins dans les villages aux confins de la vallée de Surkhet, qui sont en fait compris dans ce rayon d’une quinzaine de kilomètres autour de la ville. Il faut ajouter à cela le salaire du chauffeur, environ 150 € par mois, soit 1800 € pour l’année. En ce qui concerne  l’essence, l’association locale pourra se débrouiller.

Un besoin plus spécifique concerne Mouna, (dont le nom signifie en népali quelque chose comme « bourgeon »), une jeune fille de 12 ans. Sa situation est particulièrement difficile, elle m’a été signalée par Ganesh et son équipe. Elle ne peut pas du tout marcher, même si son esprit fonctionne à peu près bien. Ils l’ont rencontrée dans leurs campagnes de dépistage dans un endroit très reculé près du Dolpo, une région proche du Tibet où nombre de randonneurs se rendent. Peut-être à cause de son handicap constaté dès le plus jeune âge, ses parents se sont séparés et ont refait leur vie en la laissant dans les bras de la grand-mère maternelle. Ils n’ont plus donné de nouvelles. Elle sait qu’elle a un petit frère, mais ne l’a jamais vu. La grand-mère voudrait travailler, mais puisque tous les voisins sont pauvres également, ils font seuls leur travail car de toute façon ils n’ont pas de quoi payer un employé.  Mouna vit sous une sorte d’auvent sans toilettes, si nous arrivons à lui construire une pièce avec une petite cuisine et une salle de bain adapté aux handicapés, elle aura au moins cette protection pour quand sa grand-mère décédera, puisqu’elle est vraiment seule dans la vie. L’équipe d’ADC est aussi confiante que s’il y a un projet de construction, ils pourront obtenir de la mairie un terrain en son nom. Son handicap vient d’une inversion du pied qui peut être opérée, le kinésithérapeute sait déjà l’hôpital auquel il veut l’envoyer, c’est un des meilleurs du Népal où il s’est formé, HRDC (Hospital for the Rehabilitation of Disabled Children) à Baneta près de Kathmandou.  L’opération et l’hospitalisation qui va avec est gratuite, notre association prendra en charge les frais de transport, il y aura entre deux et quatre semaines de rééducation postopératoire là-bas, et ensuite des sessions régulières à Surkhet avec nous.  Les finances nécessaires pour la construction de l’habitation de Mouna en ciment (les maisons en terre battue ne sont pas un bon plan pour elle puisqu’elles doivent être renouvelés tous les trois ans, le ciment est beaucoup plus durable) s’élève à 2500 €, et on peut rajouter 150 ou 200 € de plus pour un panneau solaire qui assurera l’électricité dans ce village qui en est dépourvu.

Ganesh Rawat vit très simplement dans les hauts de Surkhet, en zone semi-rurale. Il consacre la grande maison qu’il a faite construire dans le centre-ville à l’ADC (Associatioin for Disabled Children). Il a une pièce dans la maison d’un ami, il fait sa cuisine dans la véranda et a une salle de bain à moitié en plein air, dans le plus pur style des villages népalais. Pourtant, il connaît bien depuis dix ans Mr Durga Khannal, un brahmine réputé pour son intégrité qui a été choisi à l’unanimité des partis politiques gouverneur de la province du centre-ouest, une des sept du Népal. Il a son bureau et sa résidence à I km à peine de là où nous habitions, et il nous a reçu 48 h après mon arrivée, à la fin de sa journée de travail. Nous avons parlé du yoga qu’il pratique, de la méditation, du futur du Népal et de l’écologie, et il était très intéressé d’apprendre plus sur la diététique moderne et aussi les courants alternatifs de nutrition. J’écris ces lignes quelques heures après notre entrevue, et je lui ai annoncé l’envoi de certains de mes textes sur ces sujets. Il était frappant par sa grande simplicité, bien qu’étant au sommet de sa carrière politique à l’âge de 73 ans en tant que gouverneur de province nommé pour cinq ans, et on ne sentait pas du tout, comme c’est le cas avec les gens importants et très occupés, qu’il souhaitait que nous nous nous allions plutôt rapidement. Au contraire, il faisait durer l’entretien en posant régulièrement de nouvelles questions. J’ai pu observer qu’il admirait chez Ganesh sa liberté et sa connaissance du Népal profond et de sa nature. Il nous a dit sincèrement qu’il nous enviait quelque part cette capacité que nous avons eu d’aller visiter des endroits sacrés de l’Himalaya, dont le Ladakh, que lui rêvait d’aller voir mais qu’il n’a pas eu le temps d’explorer. Quand Ganesh lui a rappelé qu’avec humanitaire Himalaya, nous avions reconstruit plus de 170 maisons après le tremblement de terre e 2015, il est devenu quelque peu notionnel et nous a remercié avec effusion au nom des Népalais eux-mêmes. C’était une reconnaissance inattendue d’un membre éminent du gouvernement pour notre action, que nous avons pu recevoir avec reconnaissance.

Nous sommes montés avec Ganesh pour camper sur le sommet, Siddha Padaïla qui domine le nord de Surkhet à 1800m d’altitude. Le nom de cette montagne vient d’un petit temple à Shiva son sommet, ou la dévotion populaire a reconnu dans un rocher la trace du pied, Padaïla, du dieu et lui attribue un grand pouvoir, siddha. En fait, avant même que le culte Shiva ne soit développé en Inde, le premier les deux premiers symboles du Bouddha et de Vishnu était la roue solaire et l’empreinte de pied. Il s’agit donc d’une tradition très ancienne. Nous avons monté les 1100 m de dénivelé en bus, et nous les avons redescendus le lendemain matin à pied. Nous avons pris le dîner dans une toute petite maisonnette sur la crête où vivaient un couple de fermiers avec deux autres personnes. Pour eux, c’était la première fois qu’il recevait un occidental, et l’un d’eux aux cheveux grisonnants qui pouvait avoir entre 50 et 60 ans nous a confié le lendemain matin, quand on lui a demandé de prendre une photo souvenir de nous, que c’était la première fois de sa vie qu’il se servait d’un appareil de ce genre… La photo d’ailleurs a été bien réussie ! De mon côté, c’était place seconde fois que je passais un dîner dans une ferme népalaise de base. Leur éclairage solaire avait eu des problèmes récemment, nous avions donc comme tout éclairage une lampe à pétrole plutôt primitive, les flammes du feu qui faisait cuire les aliments et une petite lampe de poche qu’avait apportée Ganesh. Pendant le dîner, j’entendais des petits mouvements dans un recoin obscur de la pièce, je pensais qu’il devait s’agir d’un chat, mais en fait il y avait sept poules qui se reposaient là tranquillement… Tous les légumes que nous mangions été cultivés sur place, et les céréales ainsi que le lait que nous prenions venait d’un échange direct avec les agriculteurs voisins. Le vieux couple de paysans avait huit enfants, qui était devenu plutôt membre de la classe moyenne avec leur maison particulière dans la ville et ne voulaient pas entendre même parler de retourner à la ferme. Quant aux parents, ils préféraient rester à cultiver leurs champs de légumes assez importants à plus de 1000 m au-dessus de la grande ville et profiter de leur belle montagne plutôt que d’aller s’enfermer dans des caisses de béton en ville ! Le repas s’est terminé par une consultation en bonne et due forme avec un des membres de la maisonnée qui fumait environ 20 cigarettes par jour depuis 40 ans et qui avait une forte bronchite qui ne passait pas depuis quinze jours : je lui ai vivement conseillé de ne pas tarder à aller faire une radio des poumons, on ne sait jamais… La vie des écoliers dans ces villages de montagne peut être difficile, à cause des distances à couvrir à pied. Ganesh me racontait que dans un village près du sien quand on avance plus profond dans les montagnes du Népal vers le Tibet, certains enfants faisaient deux heures de marche le matin et deux heures le soir pour aller et revenir de l’école. Inutile de dire que les résultats aux examens étaient pauvres, car ils n’avaient guère le temps de faire leur travail à la maison.

Pendant la nuit sous la tente, posée comme en équilibre au milieu des orties sur une petite terrasse en pleine pente, j’ai cru entendre le feulement des félins et des léopards, mais Ganesh m’a dit le lendemain qu’il ne s’agissait que de chacals : on délire non seulement dans le domaine de son désir, mais de ses peurs aussi… Sur le chemin du retour, le même Ganesh m’a montré différentes plantes médicinales dans la forêt pendant que nous dégringolions allègrement les 1100 m de dénivelé par un petit sentier plutôt rocailleux. En fait, sa mère a passé sa vie à se soigner avec des herbes ayurvédiques qu’elle allait rechercher elle-même dans la forêt, elle disait que si elle allait dans un hôpital et qu’elle mettait le doigt dans l’engrenage de l’allopathie, ces herbes cesseraient d’être efficace. Elle a eu une bonne santé et une bonne mémoire jusqu’à son décès à l’âge de 83 ans. Pareil pour le père qui est mort à 93 ans, en faisant jusqu’à la fin plus de travail physique que ses sept enfants et en plus de cela, et qui avait une bonne mémoire. Il était par ailleurs chaman. Il avait lui aussi un certain nombre de succès thérapeutiques à son actif, il n’utilisait pas de mantra traditionnel mais rentrait en transe en étant inspirée directement par la devatâ, la divinité protectrice de la famille. Ses transes étaient plutôt intense, il était par exemple capable de chauffer une cuillère au rouge dans le feu, et ensuite de la lécher sans blessure à la langue. Ceci ne manquait pas d’impressionner les autres villageois. Environ un an après sa mort, un de ses petits-fils a été saisi à l’âge de 20 ans par la même divinité protectrice familiale qui l’a initié de l’intérieur et il commence donc lui aussi exercer comme chamane.

Voilà pour les dernières nouvelles, en tous les cas il est satisfaisant de voir qu’un projet comme ADC que nous soutenons depuis son début en 2010 réussit à développer son travail et le rendre plus efficace techniquement avec le temps.