Jacques Vigne a répondu à une enquête sur le courage, lancée par la fille d’une de ses amies. Il s’agit d’une étudiante qui prépare son entrée dans une école de cinéma réputée.
1. Comment définiriez-vous le courage ?
Sans regarder dans un dictionnaire, tentez de donner votre propre définition, scientifique, professionnelle et/ou personnelle.
On pense que le courage ne consiste qu’à faire face aux choses, mais le vrai courage est aussi de se détendre et de trouver son équilibre. Cela correspond à la définition de la méditation selon le maître zen médiéval Wangchi qui dit justement : « Méditer, c’est faire face, se détendre, trouver son équilibre » Dans la profession de psychiatre que j’ai exercée, il faut du courage non pas pour écouter les patients, cela n’est pas si difficile et on peut le faire en somnolant, mais pour garder une ouverture du cœur et de la bienveillance malgré leur ambivalence, voire leur agressivité franche envers nous. Dans le travail d’ermite — j’ai passé quatre ans en tout à méditer en ermitage — il faut du courage vis-à-vis de soi-même pour persévérer aussi quand on a des échecs dans la maîtrise de son esprit ou quand le corps est malade, ce qui fait remonter toutes sortes de peurs.
2. Croyez-vous en la caractérisation d’ « optimiste » ou de « pessimiste » ?
Si oui, auquel des deux vous identifiez vous ? Et quelle est la caractérisation majoritaire parmi les personnes que vous avez rencontrées ?
Notre mental de base est pessimiste, notre conscience supérieure est objective, et l’objectivitépermet de s’appuyer sur notre vraie nature qui est conscience-bonheur. C’est ce que nous explique une des deux grandes voies de la mystique, la voie de la connaissance, qui est différente de la voie de la dévotion. L’optimisme réaliste permet de revenir à sa vraie nature.
Celle-ci n’est pas à proprement parler optimiste, mais elle est objectivement positive, ce qui est différent. Dans le premier cas, il y a un doute sur la réalité de ce qu’on croit, dans le second, il s’agit d’une expérience vécue sans aucun doute.
3. Pouvez-vous décrire les personnes les moins courageuses et les plus courageuses que vous ayez rencontrées ?
Je pense que les personnes les moins courageuses sont légions : non seulement elles ne font rien pour changer mais sont convaincues intellectuellement et intérieurement qu’elles ne peuvent pas changer. C’est un point de vue qu’on peut raisonnablement qualifier de
pernicieux, et il y a donc pour elles peu d’espoir. Les personnes les plus courageuses sont plus rares, mais un bon nombre de personnes aspirent quand même à ce genre d’audace : elles croient qu’on peut changer, s’occupent activement et efficacement à changer, et réussissent
finalement à le faire en profondeur. Ce courage n’est pas spectaculaire, mais il est le plus important ; comme le disait le philosophe Frédéric Nietzsche, : « Le véritable courage, c’est celui qu’on a en face de soi-même ! »
4. Trouvez-vous que nous sommes tous égaux face au courage ?
Si non, pensez- vous qu’il existe des personnes naturellement résilientes ? Si oui, pensez-vous que nous sommes tous capables du même courage ?
Bien sûr que nous ne sommes pas égaux face au courage. Ceux qui ont eu une éducation où on les critiquait tout le temps ont toutes les chances d’être fondamentalement apeurés, et de n’avoir que peu de courage et de confiance en eux. De plus, ceux qui font des séries de
mauvaises actions, ou sont dans des addictions, auront une mauvaise image d’eux-mêmes, et de nouveau ont peu de chances d’avoir un vrai courage. Que la confiance en soi vienne d’une éducation fondamentalement aimante et équilibrée, ou qu’elle provienne d’un travail sur soi
et d’un engagement dans des actions justes, elle est essentielle pour inspirer non seulement le courage, mais également l’enthousiasme. Celui-ci est l’association de courage et de joie, et c’est précisément cette joie qui détruit toutes nos souffrances. Quand on maintient son
esprit dans la joie, son intuition et sa force spirituelle s’enracinent.
5. Quelles sont vos méthodes pour redonner courage aux personnes qui l’ont perdu et qui requièrent votre aide ?
La vigilance pour comprendre comment elles fonctionnent, et la bienveillance pour mettre du baume sur leurs souffrances. Si on associe vigilance et bienveillance, on se trompe rarement, et même si on se trompe, ce n’est pas de beaucoup. On peut aussi leur expliquer
les difficultés par lesquelles on est passé et comment on en est sorti. Cela crée ce qu’on appelle une alliance thérapeutique, évite de se mettre soi-même sur un piédestal et de leur faire croire qu’elles sont des monstres à cause de leur dépression ou de leur inhibition à
l’action. Mêler l’humour à la thérapie, raconter des histoires aide aussi beaucoup. Il en va de même quand les gens qu’on doit aider ne sont pas des patients, mais des amis ou des proches. De plus, l’humour tendre, et non pas l’humour noir, est une forme d’amour. Une
méthode fondamentale consiste aussi à insister avec les gens qu’on aide sur l’impermanence de leurs troubles psychologiques, de leur dépression et de leur manque de courage. Si on les convainc que leur souffrance présente n’est qu’une phase qui va se transformer, on leur
offrira une lumière au bout du tunnel. C’est un point essentiel.
Jacques Vigne, Camaret-sur-Aygues,
Le 25 février 2021