propos recueillis par Jacques Vigne
Ces propos que j’ai recueillis ont été tenus par un ami américain de père américain et de mère italienne qui vit depuis la petite enfance à Pékin. Ses amis chinois le décrivent comme un vrai pékinois de source. Son père était venu pour fuir le Mc Carthysme aux États-Unis qui faisaient la chasse à tout ce qui pouvait avoir de la sympathie pour le communisme. On surnomme familièrement cette génération d’enfants occidentaux dont les parents avaient été attirés par le maoïsme les « couches rouges ». Quand je lui ai dit que je voulais écrire un article sur mes trois semaines en Chine, il a souri et m’a dit : « Au bout d’un mois en Chine, les gens ont envie d’écrire un livre, au bout d’un an, simplement un article, et au bout de 50 ans comme c’est mon cas, on ne sait plus trop quoi dire, tellement ce pays est immense, complexe, et remplie de contradictions ! » En tous les cas, j’ai recueilli ci-dessous, même si ce n’est pas de façon très systématique, ce qui m’a semblé des éléments importants de son témoignage.
La planification centralisée a beaucoup de bon. Par exemple, récemment, en 15 ans, la Chine a construit deux fois plus de km de chemins de fer que tout le réseau dans le reste du monde. Aux Etats-Unis, les politiciens sont surtout préoccupés par leur réélection… Le parti communiste lui aussi veut rester au pouvoir, mais il est suffisamment intelligent pour réaliser que cela n’est possible à long terme que s’il développe l’économie et une classe moyenne heureuse de vivre dans le pays, et c’est ce qu’il fait avec beaucoup d’énergie, il faut le reconnaître. Après, le manque de liberté, la censure de l’internet sont certainement des points noirs du régime. [Ceci dit, l’Internet pornographique est interdit, et cela fait économiser certainement beaucoup de temps et d’énergie à l’ensemble de la population. On peut mentionner à ce propos qu’en Asie du Sud en dehors de la Chine communiste, 60 % du trafic de l’Internet est consacré à la pornographie] Si l’économie s’effondre, le gouvernement partira probablement en guerre contre certains de ses voisins, pour justifier la continuation de la dictature, comme c’est souvent le cas dans d’autres pays. En tous les cas, les Chinois moyens n’ont jamais été aussi riches depuis deux siècles, ils le savent bien et n’ont pas envie de se lancer dans une nouvelle révolution, ils ont l’expérience directe en effet des misères qu’apporte ce genre de troubles et de guerres civiles. Les paysans touchent leur petit lopin de terre qu’ils font exploiter par des sociétés, car ce ne serait pas rentable de le faire par eux-mêmes. Cela leur donne un revenu fixe qu’ils complètent avec des petits travaux à gauche à droite, et cela leur va, sachant aussi qu’ils bénéficient d’une sécurité sociale qui est bien organisée pour les problèmes de santé.
La révolte des Taipings, dans les années 1820, a été inspirée par un candidat malheureux aux examens impériaux au collège confucéen de Pékin. Après les avoir ratés une fois de plus, il est en outre tombé malade avec une forte fièvre dans sa chambre d’hôtel, et en lisant de la littérature missionnaire, il a été possédé par l’idée qu’il était le frère de Jésus. Dans ce sens, il a lancé un mouvement de révolte armée pour déclencher l’Armaguedon, la grande guerre biblique finale contre le Mal personnalisé par l’Empereur de Chine, et apporter au pays le paradis sur terre promis par le doux Jésus. Il avait certaines idées modernes mais quand même critiquable, par exemple pour enrôler les femmes dans ses troupes. Enfin, le résultat final a été une répression sévère des empereurs Qing (prononcer Tching) avec au bout du compte 30 millions de morts. Cela faisait beaucoup pour ce qui était au fond un délire fébrile où ont été repris des éléments de la propagande missionnaire où tout un chacun qui se convertissait semblait devenir tout-puissant, puisque relié directement à Jésus. Les Chinois se souviennent très bien de ces événements désastreux, et il est bien possible qu’ils prennent à jour leurs leur revanche sur l’Occident.
Je pense que le mauvais karma de la colonisation va retomber sur l’Occident. La Chine a eu des XIXe et XXe siècles terribles, et l’agression coloniale y a été pour beaucoup, avec en particulier la guerre de l’opium. [Il faut rappeler aussi que le communisme était un « don » de l’Occident, comme le disait Bertrand Roussel, « le communisme est une hérésie du christianisme »] Il va y avoir un rééquilibrage qui se fera. Pendant presque 2000 ans, la Chine a été la plus grande économie du monde, elle est seulement en train de le redevenir après deux siècles d’éclipse.
Chanter ou faire de la musique en public en Chine est décevant, il s’agit de restaurants ou bars où les gens consomment et écoutent à peine. Une fois, je suis intervenu avec une amie qui faisait du chant persan, avec une voix très délicate. Deux fois, j’ai demandé aux clients d’écouter en silence, ou sinon d’aller boire, fumer et discuter à un autre endroit. Ensuite, le patron s’est mis à être irrité contre moi car je faisais fuir ses clients qui buvaient de l’alcool…Même les spectacles d’Opéra traditionnel de Pékin se passent dans des salles où les gens boivent le thé, mangent et bavardent tant qu’ils peuvent ! Pendant ce temps, une jolie chanteuse s’époumone sur scène pour essayer de faire passer un peu de sentiment musical…
Les Chinois sont instinctivement racistes, pour eux c’est évident qu’ils sont génétiquement supérieurs aux blancs qui ne sont pas propres car ils sont poilus et ont une odeur corporelle, et bien sûr supérieurs aux noirs qui sont comme des singes…
On reproche Chinois d’être individualistes, et c’est vrai qu’ils le sont. Cependant, ceci a le gros avantage qu’ils vous laissent tranquilles et mènent leur vie de leur côté. Il ne se mêlent pas de vos affaires, et c’est pour vous, on doit le reconnaître, assez confortable.
Après 50 ans ici, j’ai toujours des problèmes de visa : ce n’est pas une profession qui est très reconnue, cela ne rentre pas dans les cases l’administration, et je dois continuer à jouer sur la corde raide pour pouvoir renouveler mes visas. Ma fille aussi de dix ans qui n’a pas la nationalité chinoise doit justifier régulièrement de sa présence ici.
Au XVIe siècle, il y a eu un tournant historique. Une grande flotte des Ming a exploré l’Inde et l’Afrique pour établir des relations commerciales, mais il y a eu un changement au pouvoir avec un retrait conservateur et nationaliste, qui n’a pas voulu poursuivre ces relations dans le Pacifique. 13 ans seulement après l’échec de cette entreprise, les Portugais ont passé le Cap de Bonne Espérance et cela a été le début de sérieux problèmes pour l’Asie.
La centralisation est une vieille histoire en Chine, elle n’est pas une création du système communiste. Dans ce sens, Mao-Tsé-Toung n’a pas touché pendant la révolution culturelle à la cité impériale, car il se sentait héritier de ce pouvoir centralisé. D’ailleurs, sa maison privée était dans ce quartier de la cité impériale. Par exemple, il existe une loi qui est difficile pour ceux qui veulent migrer des campagnes à la ville, ils ne peuvent pas transférer l’inscription de leur enfant à l’école publique en ville. Cela provient du temps de l’administration impériale, où l’émigration à l’intérieur du pays n’était pas bien vue par le pouvoir central.